Résilience

Ruban adhésif et papier, portraits au sol (735 x 428 cm) et aux murs (220 x 150 cm chacun) ; Exposition personnelle, Galerie Marie-Robin, Paris, 2016. Photos © Aurore Pannier ; Conception graphique affiche © T&D

Texte de l’exposition ci-après


Avant-propos:

Invité à réaliser une exposition personnelle dans la Galerie Marie Robin (Paris), j’ai entrepris une installation in situ mettant autant en oeuvre qu’en scène l’intégralité des espaces proposés. Tout était prévu et validé, mon projet était prêt à être réalisé ; mais à l’avènement de l’attentat de Nice survenu le 14 juillet 2016, mon projet semblait bien superficiel par rapport à l’impact de cette dramatique soirée. Profondément marqué par cet attentat, cette vive et indescriptible émotion provoqua chez moi le désir de tout recommencer, c’est-à-dire d’annuler mon projet initial pour en proposer un autre quelques jours seulement après ma décision, même si les délais étaient naturellement limités et, par conséquent, réduisaient le temps accordé à mon exposition personnelle. Tant pis : l’urgence de cette « Résilience » était vitale pour ne pas être exprimée ; et cette exposition se voulait humblement être un hommage aux victimes.

Résilience :

A. − Résistance et capacité d’un corps ou d’un système quelconque à retrouver ses propriétés initiales après avoir subi une altération ou perturbation

B. − Force morale, qualité d’une personne qui surmonte les épreuves ou se reconstruit après un échec, un choc, un traumatisme.

         Un drame chasse l’autre, l’information en continue les banalise parfois ; les élans de solidarités et de compassions ne sont pas universels mais hiérarchisés, selon les lieux et origines des victimes. Pas d’équité dans la considération des tragédies : mêmes les Monuments se parents des Couleurs qu’ils choisissent. La multiplication des attentats se conjugue avec l’accroissement du nombre de victimes, qu’elles soient liées entre elles (religion, spiritualité, modes de vie) ou non (assassinats de masse). « Le monde devient fou », « un massacre de plus » deviennent des adages populaires de résignation tant les drames se répètent, au point de confondre et d’oublier leurs motifs et leurs causes. Si l’horreur choque naturellement, notre émotion ne semble plus pouvoir s’ancrer en nous comme elle le devrait, par la récurrence des tragédies. Internet et la télévision oscillent entre le devoir de tout montrer (liberté d’information) et le désir de tout montrer (liberté d’expression). L’audience répond à la surenchère et la primauté d’images et d’informations, tantôt sordides, tantôt vides de contenu (celles qui, parfois, ne montrent rien en soi, illustrant et comblant l’absence de nouveauté et de commentaires par le ressassement). « La mort spectacle » (2007) qu’analysait Michela Marzano s’est justement accentuée dans ce flot incessant — et souvent indécent — d’images et d’informations, rendant presque banales les tragédies. Que nous apprennent justement ces images de témoins des drames (le plus récemment : à Nice) auxquels ils assistent, filmant entre insensibilité et voyeurisme les blessés et cadavres au lieu de leur porter secours ? De même, que nous apprennent-elles sur leurs auteurs, sur les médias qui les exploitent et les relayent ; mais avant tout sur nous-mêmes qui les regardons, les acceptons, et les considérons comme de l’information ?

         « Quand on cherche volontairement à regarder ce genre d’images, on ne se bat plus contre le spectacle auquel on assiste, conclue Michela Marzano. On se place dans une position de confort, hors des scènes cruelles […] dont on est le spectateur, comme si, par écran interposé, la réalité n’était plus qu’une image virtuelle. L' »horreur-réalité » finit par s’installer dans notre quotidien » (Michela Marzano, La Mort Spectacle Enquête sur l' »horreur-réalité », Paris, Gallimard, 2007, p. 65). Résilience n’est pas un nihilisme ou un déni, mais la résistance et la capacité d’un système à rebondir, littéralement à reprendre sa forme initiale malgré les altérations, les chocs, les évènements. Les figures en gros plan des personnages aux murs sont froides et distantes ; elles nous font faces, comme nous faisons faces à leur absence d’émotions ; seule la figure au sol souffre physiquement, puisque les visiteurs la piétinent. Les informations que les personnages aux murs ont reçues, symbolisées par les tracés noirs, semblent venir de nulle part (multiplication des sources) ; elles les impactent à peine (selon un terme devenu familier) en rebondissant sur eux, devenus moralement et sensiblement protégés par leurs contours de ruban adhésif isolant. « Le drame se déroule maintenant pour un spectateur qui sait, qui comprend, qui goûte l’agonie minute par minute ; mais dans l’action même, ce spectateur n’existe pas […]. L’évènement a tué le drame. Ceux qui sont morts n’ont rien senti (Alain, « Drames » [1912] in Propos sur le bonheur, Paris, Gallimard, 1928, p. 42) ».