Boing, Boing, Boing!

Ruban adhésif, installation in situ sur trois niveaux. Exposition « Carte blanche » proposée par Christophe Ménager pour « Propos d’Artistes », Graphigro Voltaire, Paris, 31 mai – 4 septembre 2013. Photos © Bruno Farat

Texte de l’exposition ci-après

« L’installation se propose comme une déambulation linéaire, mystérieuse, ludique et invraisemblable dans un lieu qui, au contraire, est parfaitement construit et fonctionnel. Un quelque chose a parcouru l’espace à loisir, sans que nous puissions l’identifier. Il s’agit ici d’une mise en scène fictionnelle d’un événement qui s’est passé, une version des faits proposée en retard, et sans garantie de sa véracité ni de sa faisabilité. Par la scénographie simple et lisible grâce au ruban adhésif, ce cheminement de l’extérieur à l’intérieur ne permet pas aux spectateurs de revivre le parcours de ce quelque chose, mais de comprendre ce qui — semble t-il — s’est passé.

Mais comprendre ne signifie pas rendre vraisemblable ce trajet d’un quelque chose, traversant un lanterneau et rebondissant avec aisance sur l’échappée de l’escalier, ainsi que les barrettes et les cadres qui bordent celui-ci, avant de se dérober aux regards par l’extérieur ou par le plafond, selon notre sens de lecture.

Comme le client devenu spectateur qui arpente ce lieu pour flâner ou se procurer un bien, ce quelque chose n’est qu’en transition ; les lignes noires de ruban adhésif (notamment tracées sur les cimaises) sont le témoignage de l’étrange parcours de cette chose, aussi périlleux qu’impossible dans l’absolu. « Sans Titre » fait écho à l’absence de traces et de preuves, d’identité de ce quelque chose comme la faisabilité de ce parcours abstrait, laissant derrière lui une empreinte linéaire. Tantôt en longueur, tantôt en hauteur, ces nombreux rebonds ici mis en scène traduisent la souplesse et la rondeur dans un lieu au contraire géométrique, symétrique et rigoureux.

Si la dangerosité de l’escalier (chutes éventuelles) fait écho à la prise de risques de ce quelque chose lorsqu’il virevolte entre les espaces, la rigueur géométrique du lieu et la symétrie répétitive des marches contrastent avec la souplesse et la rondeur du parcours de ruban. De la même manière que la vélocité apparente traduite dans cette échappée s’oppose à la pénibilité de la démarche du spectateur, lorsqu’il monte (fatigue) ou descend (chocs articulaires) ces espaces. Le lieu ici n’est pas modifié ou transformé mais, au contraire, pleinement mis en évidence, puisque l’installation in situ s’est spécialement adaptée à lui et en fonction de lui.

Si les escaliers sont un moyen d’accès et de transitions (changer d’espaces et d’étages), ils permettent ici de présenter une multitude de points de vue du même travail qui demande à être suivi du regard. Le cheminement du visiteur devenu spectateur dans l’espace (par la montée ou la descente des escaliers) coïncide donc avec celui que demande le travail lui-même, à la fois pour être suivi, lu et compris.

Pas d’escaliers infernaux à la Piranesi ; ici, l’espace n’a pas été transformé ou modifié, bien au contraire. Par son exploration et inscription du lieu, l’installation in situ le donne à voir autrement, le met en évidence puisqu’il s’articule en fonction de ses caractéristiques spatiales et matérielles. Si le visiteur est naturellement concentré dans l’escalier afin d’éviter de trébucher par exemple, l’installation, par son impact visuel immédiat du trait noir sur fond blanc, pourra attirer son regard et le détourner un moment de son objectif : descendre ou monter l’étage. Il fera naturellement une pause en toute sécurité, afin de suivre du regard cette mystérieuse échappée, qu’il est impossible de voir dans sa totalité sans se déplacer d’un bout à l’autre.

C’est en ce sens que l’installation répond à la définition de l’escalier qui, selon Lydie Decobert dans son ouvrage « L’escalier ou les fuites de l’espace », « nous transporte vers d’insoupçonnées destinations ». En poursuivant ses rebonds sur l’échappée de l’escalier, l’installation s’échappe à son tour du regard lorsque nous sommes à l’intérieur, pour ré-apparaître grâce au lanterneau et à la vitrine du rez-de-chaussée. De l’extérieur à l’intérieur, des paliers aux escaliers, des vitres aux cimaises, de l’horizontalité à la verticalité, cette installation s’articule en effet sur plusieurs niveaux, afin que le spectateur puisse arpenter le lieu en saisissant les enjeux de ce travail.

Ce parcours n’est finalement qu’indices et signes, celui d’une traversée qui a eu lieu à l’abri des regards ; comme le disait Parmiggiani, « laisser une empreinte est une façon de s’en aller », et seule demeure cette échappée linéaire, l’empreinte d’un quelque chose qui n’a été que de passage dans ce lieu, comme le visiteur » .